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Histoire
d’un vin sans sulfite : vin rouge de primeur
Le
sulfite est un additif « indispensable » en vinification qui
est mal supporté par certains consommateurs, alors que d’autres le
supportent et le métabolisent sans problème. Il semblerait d’après
les réactions que j’ai pu observer dans mon entourage que le sulfite
peut exacerber l’effet de l’alcool chez certains individus : un
vin sulfité à plus de 100 mg/l, comme la majorité des vins commerciaux
monte très vite à la tête, comme si il y avait une synergie amplifiant
le passage de l’alcool dans le sang ou empêchant sa dégradation. On ne
peut que s’étonner de ce qu’aucune étude n’ait été réalisée
sur cette interaction sulfite-alcool, à tout le moins à ma connaissance.
Tout le monde observe ou parle de ce phénomène, les associations de
consommateurs traquent le sulfite dans les vins, mais il y a peu ou pas de
communication scientifiques relative au SO2
vers les médias alors que le resvératrol a droit à son communiqué
de presse hebdomadaire…
J’ai
donc essayé de produire du vin aussi pauvre en sulfite que possible afin
que tous puissent profiter du produit de mon vignoble et de son divin
breuvage. J’y suis parvenu cette année grâce à la macération
carbonique et à la pasteurisation, tout en respectant les cahiers de
charges bio les plus contraignant, n’ayant eu recours à aucune levure,
bactérie, ou autre adjuvant de vinification.
Ce vin a été apprécié tant par des amateurs que des
professionnels du vin et ne présentait aucune note oxydée ou faux goût
Voici
l’histoire de ce vin : |
Le
raisin.
Le
cépage utilisé est un vieil hybride fort diffusé en Belgique : du Léon
Millot (192.2 Kuhlmann ) que je vinifie en macération carbonique
depuis 15 ans. C’est d’ailleurs en se basant sur mon expérience que
la confrérie de Villers-La-Vigne élabore son vin (7 hl en 2004). Ma
production est moindre, et bon an mal an, tourne autour des 50 l produits
par 32 pieds, pour moitié âgés de 25 ans et 10 ans. Ces vignes sont en
conduites en culture biologique peu ou pas traitées (soufre + oxychlorure
de cuivre).
La récolte
a
lieu début octobre, le raisin a alors une densité de 1080 à 1090
promettant des vins de 10-11 %Vol. Les grappes sont cueillies entières et
posées intactes dans un grand bidon en plastique alimentaire de 100 l et
éventuellement un second de 25 l selon la production de l’année qui
varie de 60 à 80 kg car les grappes non broyées occupent 50 % de volume
en plus de leur poids : 100 l ne permettent de mettre 60 kg de
raisins.
Les
grappes de Léon Millot sont petites, les grains serrés ont un épiderme
épais et résistent à l’écrasement du à leur poids. Grâce à cette
particularité il n’y a qu’un ou deux pour-cents de baies qui éclatent
en cours de macération carbonique, de sorte qu’il n’y a pas de vin de
goutte qui nécessite une protection par sulfitage. |
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La macération
carbonique
Les
grappes intactes doivent baigner dans du gaz carbonique. La solution la
plus simple est de récupérer les gaz carbonique dégagé par un autre
vin en fermentation. J’utilise soit un vin blanc qui fermente dans la
cave fraîche d’à côté (un long tuyau en plastique permet le
transfert), soit un vin rouge en cours de cuvage comme sur la photo
ci-contre. L'apport de gaz carbonique
doit se poursuivre pendant 48 heures : dans les premiers jours les
baies consomment presque leur volume de ce gaz. Ensuite le métabolisme anaérobie du raisin dégage
du CO2
La
macération carbonique est conduite vers 22°C dans la cave « chaude »
pendant une semaine.
La
macération carbonique est une technique de vinification qui exploite les
phénomènes se produisant à l'intérieur des fruits intacts lorsque
ceux-ci sont placés dans une atmosphère riche en gaz carbonique et dépourvue
d'oxygène.
On parle alors de métabolisme anaérobie, en abrégé MA. |
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Au
sujet du métabolisme anaérobie du raisin
En
présence d'oxygène (en aérobie), le raisin "respire".
Lorsque
tout l'oxygène est remplacé par du gaz carbonique, les baies ne
respirent plus, elles subissent alors une fermentation interne, en anaérobie
(absence d’oxygène), sans que les levures n'interviennent. Comme on
utilise le terme fermentation pour les transformations dues à des
microorganismes (levures et bactéries) on préfère parler de métabolisme
anaérobie (M.A.) pour les transformations qui se passent à l'intérieur
des fruits dans une ambiance saturée de gaz carbonique.
Le
métabolisme anaérobie de la baie de raisin à comme résultats :
-
La
formation d'une faible quantité d'alcool (1 à 1,5 % Vol)
-
Une
dégradation d'environ 50 % de l'acide malique sans formation d'acide
lactique.
Les autres acides (tartrique, citrique) ne subissent aucune transformation
et restent constants.
- La
formation de produits secondaires, d'arômes, de même que de facteurs de
croissance pour les levures et les bactéries, ayant pour conséquences
des fermentations alcoolique et malolactique qui se déroulent plus
rapidement, après macération carbonique, qu'en vinification classique.
D’un
point de vue œnologique, le contact rapide des raisins avec le gaz
carbonique assure une protection contre les oxydations et permet de
réduire très fortement la quantité de S02 mise en
oeuvre durant toute l'élaboration du vin. Ce n’est que si
la proportion de raisins abîmés est importante qu’on sulfite légèrement
(20 mg de SO2/l). Avant le pressurage, suite au métabolisme
anaérobie, le moût a acquis 1 à 1,5 degré d'alcool. Après pressurage,
il fermente rapidement, en quelques jours les sucres sont totalement épuisés.
La fermentation malolactique se déclenche aussi rapidement, parfois avant
la fin de la fermentation alcoolique. Le vin atteint ainsi sa
stabilité biologique en quelques semaines et peut être dégusté
en primeur.
L'avantage
aromatique est particulièrement important lorsqu'il s'agit de vins réalisés
avec les raisins d'hybrides producteurs directs (les hybrides Kuhlmann tel
que le Léon Millot, le Maréchal Foch et le Triomphe d’alsace, mais pas
avec le Baco noir, par exemple). Ce qui caractérise surtout ces vins et
les fait reconnaître par les dégustateurs, c'est l'arôme de
"primeur" qu'ils ont dans leurs premiers mois. Les vins de macération
carbonique sont plus souples, moins colorés et moins tanniques que les
vins vinifiés après foulage et macération classique ; à moins de
faire suivre la macération carbonique d’un cuvage classique.
Ces
arômes typiques ne sont intenses que dans les premiers mois du vin. Ils
disparaissent peu à peu lorsque le vin vieillit. On retrouve alors les
parfums plus spécifiques du cépage, ceux-ci sont souvent de moindre
qualité. La pasteurisation a aussi pour but de limiter cette évolution
normale. |
Un
modèle d’installation de mise sous SO2
du raisin.
Dans le cas du Léon Millot, la claie et le robinet
sont inutiles car très peu de baies éclatent. |
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La fermentation
Après
macération carbonique d’une semaine les grappes sont restées intactes.
On observe des baies fortement décolorées en rose-brun. Les grains verts
sont intacts. Si quelques baies ont éclaté et donné un peu de jus
(moins d’un quart de litre sur le tonneau de 100 l), celui-ci est jeté
impitoyablement car il est riche en bactéries de toutes natures. Si il en
avait plusieurs litres je devrais les vinifier séparément car les sucres
y sont épuisés et la malolactique déjà en cours peut provoquer une piqûre
lactique.
Les grappes passent au fouloir-égrappoir et sont mises en cuve. Par
prudence, le jus subit un sulfitage léger (30 mg de SO2/l) qui
a pour but d'éviter que les fermentations alcoolique et malolactique ne
se chevauchent et forment de l'acidité volatile (acide acétique) par piqûre
lactique des sucres. C’est aussi le premier et dernier soutirage de ce
vin…
Nul
besoin d’ajouter de levures au moût, la fermentation alcoolique démarre
naturellement et vivement. Elle est conduite à température assez basse
(18 à 20°C) pour conserver les arômes fruités du vin et lui donner son
caractère de primeur. On peut ajouter quelques copeaux de chêne non torréfiés
pour apporter du tannin naturel dont les hybrides sont pauvres. Le cuvage
est limité à 3 ou 4 jours de fermentation sur pulpes, de sorte que les
notes végétales que peuvent apporter les grains verts ne diffusent pas
dans le vin.
Après
ce temps le moût est pressé
et poursuit sa fermentation en tourie de 54 l. Elle se termine en quelques
jours.
Pour
moi qui suit enseignant ce timing permet de vendanger le week-end, de
broyer le samedi ou dimanche qui suit et de presser le mercredi. Il faut
savoir s’organiser pour que le vin soit bon…
L’élevage
Dès
la fin de la fermentation malolactique (constaté par l’arrêt de bulles
dans le barboteur, l’avis d’un dégustateur
expérimenté ou une chromatographie sur papier) le vin est placé en cave
fraîche et si possible réfrigéré pour provoquer la chute des cristaux
de tartre et le dépôt des matières colorantes en excès. Pour cela je
sors la tourie 3 jours lors de petites gelées automnales.
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Le vin mûrit
alors en cave et commence à être dégusté encore riche en gaz
carbonique, prélevé directement de la tourie. La protection contre les
oxydation est assurée par le dégazage du CO2. Après 2 à 3
semaines de prélèvements la teneur en gaz carbonique a suffisamment
baissé pour que le vin soit mis en bouteilles. Le vin a déjà évolué,
est moins « primeur ». Il est temps de le conditionner en
flacons.
Ce vin n’ayant
pas été sulfité depuis le broyage du raisin est particulièrement
oxydable : une bouteille prélevée à midi a bruni le soir et acquis
des notes d’oxydation pour devenir caramel, imbuvable le lendemain. Son
taux d’alcool modéré (moins de 11 %Vol.) ne permet pas une meilleure
conservation et il n’est pas question de le chaptaliser ou de rechercher
une plus grande maturation et des degrés élevés.
Pour le conserver
il y a la solution de la pasteurisation.
Pasteurisation
Le
chauffage du vin a 2 objectifs : limiter l’usage de SO2
Le
vin mis en bouteille contient toujours du CO2
dissous. Celui-ci garanti sa fraîcheur et se dégazera en partie pendant
la chauffe. Ainsi le gaz carbonique chassera et remplacera le peu d’air
contenu dans la bouteille lors du phénomène de dilatation/rétraction du
vin. Pour éviter la montée des bouchons j’utilise des bouteilles
champenoises bouchées d’un bouchon de liège et ensuite capsulées.
Les bouteilles sont remplies à 2 cm du bouchon (dilatation du liquide
lors du chauffage) sont alignées dans ma cuisinière (cadeau d’anniversaire
fonctionnel et choisi avec discernement !). Une bouteille témoin
munie d’un thermomètre dont l’extrémité arrive non loin du fond, au
tiers du liquide. Le chauffage doit être de +/- 65°C. Une température
de 55°C suffit pour éliminer les levures et bactéries. Mais ce n’est
pas le principal but recherché, celui de bloquer l’évolution du vin en
détruisant les enzymes responsables des oxydations (laccase,
tyrosinase,…) qui font vite évoluer les arômes des vins nouveaux.
Lorsque cette température est atteinte sur la bouteille témoin, je
laisse refroidir doucement. A la sortie du four les capsules sont resserrés
pour garantir la garde.
Les
bouteilles peuvent alors être directement couchées.
Le
goût du vin peut sembler différent les jours qui suivent la
pasteurisation (une variante de la maladie de la bouteille due au
chauffage) mais se rétablit après une ou deux semaines.
Le
résultat : un vin avec 10 g de SO2
total et un SO2 libre
en dessous du seuil mesurable (voyez le bulletin d’analyse du vin
pasteurisé ci-contre).
CQFD.
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