Les boissons
fermentées protègent la santé des populations.
Comme dans tous les pays
d'Europe, c'est le moyen-âge et la création des villes et des communautés urbaines qui
sont les moteurs de la consommation de boissons alcooliques. On les qualifiait de boissons
hygiéniques en opposition aux eaux de puits ou de rivière qui étaient souvent
polluées. Seules les eaux des sources éloignées des villes étaient garanties saines.
Les grandes épidémies du moyen-âge se sont propagées par les eaux contaminées que le
peuple buvait.
Boire étant une
nécessité physiologique, ceux qui avaient accès aux boissons indemnes de germes de
maladies pouvaient protéger leur santé. C'est ainsi que l'on qualifia tout naturellement
ces boissons d'hygiéniques.
Celles-ci étaient le
résultat de fermentation de différents liquides sucrés : jus de raisin, de pommes,
cervoise, hydromel, bière, etc.
L'empirisme de la
médecine de l'époque avait constaté que les boissons provenant des fermentations
étaient plus saines.
Aujourd'hui nous pouvons
expliquer ce phénomène par l'action inhibitrice ou destructrice des levures vis-à-vis
de plusieurs bactéries pathogènes. Autrement dit, dans une certaine mesure, la
fermentation assainit les liquides contaminés par les bactéries responsables
d'épidémies.
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Du vin de nos
vignobles aux autres boissons fermentées.
Au moyen-âge la Belgique,
comme le Nord de la France est un pays de vignobles. En cette période historique le
climat de ces régions est plus chaud qu'actuellement et favorable à la culture de la
vigne. La période entre 900 et 1300 est ainsi parfois baptisée "l'Optimum
médiéval" par les climatologues.
Au XVème
siècle le temps se refroidit, les rivières gèlent en hivers (voyez les étangs gelés
et leurs patineurs sur les tableaux de Bruegel), la vigne soufre des modifications
climatiques et trouve refuge dans quelques régions plus favorables du Brabant ou sur les
bords de Meuse.
Lorsqu'en 1555
Charles-Quint quitte la Belgique pour l'Espagne, la viticulture de nos régions est au
début de son déclin inéluctable. La température de nos contrées lui convient de moins
en moins. Les raisons politiques (Traité des Pyrénées,...) ne feront qu'accélérer
cette évolution.
Les climatologues nomment
la période allant de 1400 à 1850 de "petit âge glacière", la température
moyenne était de 1,5°C plus froide qu'actuellement en moyenne, les hivers longs et
rigoureux, et les étés courts et humides. Des conditions vraiment peu favorables au
développement et parfois à la survie de la viticulture.
Dans les villes les
citoyens ont donc besoin de trouver une nouvelle source de boissons hygiéniques pour
répondre aux besoins d'une population en constante augmentation. La bière répondra à
ce besoin. C'est grâce à ce contexte climatique que l'industrie brassicole connaîtra
son essor dans nos villes.
Il est intéressant
d'observer la structure des métiers au sein des villes : la même corporation regroupait
brasseurs, hydromeliers et viticulteurs.
Les communautés monacales
doivent disposer de vin pour les besoins du culte ainsi que pour accueillir les pèlerins
de passage. A cette époque les abbayes doivent se tourner vers l'étranger pour
s'approvisionner. C'est ainsi que s'ouvrent les routes des vins du Rhin et de Bourgogne.
La CGER a organisé en 1989 une exposition sur ce thème : "Les routes de la
treille".
Dans les campagnes les
populations sont pauvres. Elles ne peuvent se permettre le luxe de la bière à partir de
coûteuses céréales.
Leur réponse est la
fabrication de boissons hygiéniques produites à partir de toute matière première
apportant une eau non contaminée et des sucres, même en faible quantité : sève
d'arbre, jus et sucs des fruits, infusions de racines ou graines.
Ces liquides fermentés,
généralement peu alcoolisés, étaient dénommés "boissons ménagères",
"boissons des champs", ou "boissons économiques".
A côté de ces boissons
paysannes, les bourgeois des gros bourgs boivent le cidre ou le poiré dans les régions
où la culture des pommes et poires remplace celle des raisins. Les plus anciens documents
décrivant la fabrication du cidre datent de 1755.
La mémoire des recettes
d'antan.
Les écrits relatant les
diverses recettes utilisées dans les campagnes sont inexistants avant la fin du
dix-neuvième siècle.
Les traditions et la
transmission du savoir pastoral étaient avant tout orales.
Le prix du papier de
qualité, qui ne brunissait pas en quelques semaines, réservait son usage pour
l'impression d'ouvrages destinés à un public qui avait des moyens. La baisse du coût du
papier alla de pair avec l'apparition des premières encyclopédies destinées à un
public bourgeois : Larousse ménager, encyclopédies Roret,... Mais à une exception près
(Andrieu : les vins de fruits) les livres ne concernaient que la viticulture et l'art de
faire le vin, celui de raisin, ou le cidre et l'hydromel, pas les boissons de fruits.
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De la pénurie de vin
aux vins d'imitation.
Phylloxera, mildiou et
oïdium allaient modifier les habitudes alimentaires.
A partir de la moitié du
dix-neuvième siècle ces trois fléaux firent chuter les rendements des vignobles. Le vin
vint à manquer en France. Un buveur de vin ne se découvre pas buveur de cidre ou de
bière du jour au lendemain, et les vins d'importation étaient trop chers pour le
consommateur quotidien.
La solution était simple
: produire du "vin" à partir de toute matière peu coûteuse, riche en sucres,
qui pouvait donner un produit plus ou moins similaire.
Le sucre de betterave
était encore cher, les travaux des champs étant largement manuels, les sucres du miel,
au prix du beurre, faisaient de l'hydromel un produit de luxe.
Ce furent majoritairement
les raisins secs importés de l'est de la méditerranée qui fournirent les sucres
nécessaires. Ces vins étaient aromatisés de jus de fruits, racines et infusions
diverses et permirent de répondre à la demande en vins pendant cette période de
disette.
On fit aussi grand usage
des vins du Roussillon assaisonnés comme les précédents pour leur donner du caractère.
Ces vins étaient qualifiés de "vins d'imitations". De nombreux ouvrages
édités entre 1890 et 1925 proposèrent des recettes de "Château Laffite",
"Meursault", ...
Dans le même temps les
boissons ménagères s'alcoolisent à mesure que le prix du sucre diminue.
Elles donnent naissance
aux vins de fruits au degré d'alcool équivalent à celui d'un vin.
Début des années 1900,
la mécanisation de l'agriculture entraîna une diminution constante du prix du sucre de
betterave et rend le coût des vins de fruits de plus en plus intéressant. Ceux-ci se
développent ainsi dans les campagnes aux lendemains de la grande guerre.
Dans les années vingt et
trente les premiers livres spécifiques décrivent la fabrication des vins de fruits en
Belgique. Leurs auteurs, dans des élans patriotiques, imaginent que les vins de fruits
permettront de transformer les quantités de fruits en surproduction dans leur pays.
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L'éclosion
des associations de vinificateurs amateurs.
C'est par le Nord et l'Est
que le vin de fruits envahit la Belgique et les Pays-Bas.
La fabrication des vins de
fruits s'est surtout développée dans les régions d'Europe où elle n'est pas en
concurrence avec la production de vin : Angleterre et Nord de l'Allemagne.
L'Angleterre se
caractérisant par ses vins "artificiels" produits à partir de tous les jus et
sucs possibles et imaginables, sèves, fleurs, feuilles, tout ce qui pouvait fournir
arômes et saveurs était digne de vin pour peu qu'on ajoute raisins secs, figues, bananes
ou jus de raisins concentrés (tous éléments importés du continent) pour leur donner le
corps nécessaire.
En Allemagne la tradition
viticole est importante et impose aux vins de fruits d'être plus "naturels",
c'est-à-dire réalisés avec des jus de fruits seulement allongés d'eau et additionnés
de sucre, sans ajout d'éléments extérieurs au fruit. Cette autre façon de voir le vin
de fruits n'est vraiment pas plus facile.
La Belgique, tout comme
les Pays-Bas, se trouve à proximité de ces deux façons de concevoir les vins de fruits.
Ce n'est donc pas étonnant que ce soit dans ces régions que se réalisa la synthèse de
ces différentes pratiques.
Dans l'immédiat après
guerre, la législation devenue plus libérale (voir législation ci-dessous), les vins de
fruits font leur lente entrée en Belgique par l'Est : le Limbourg et la province de
Liège.
Dans les années soixante,
Frans Ballis, pharmacien à Beverloo, importe les produits oenologiques allemands dans la
région limbourgeoise et se constitue petit à petit un réseau de distribution.
Juste à côté, aux
Pays-Bas, naît en 1974 la revue "Onder de Kurk" (sous le bouchon) dirigée par
le néerlandais Aarnout Kwint. Cette publication au coût mal calculé (17 Florins pour 9
numéros annuels) ne dura qu'une saison.
Mais ce fut suffisant pour
initier un mouvement, organiser la première compétition entre producteurs de vins de
fruits, favoriser leur rencontre, et susciter des vocations. C'est ainsi que Jan Van
Schaik traduit dans la langue de Vondel le livre de Berry : Berry's First Steps. C'est le
début d'une longue série de traductions en néerlandais.
C'est dans ce contexte
d'émulation que Frans Ballis fonde en novembre 1975 la revue "De amateur
wijnmaker" destinée à ses clients et revendeurs belges et néerlandais. Joop Dhert
et Ron Hoose participent à sa rédaction.
Cette revue servira de
catalyseur pour la formation des associations de vinificateurs amateurs.
Le premier club belge se
constitue dans le Limbourg flamand dès janvier 1976 autour de Jos Jaspers. Deux mois plus
tard le premier club des Pays-Bas est fondé dans le Brabant néerlandais. Suivent
d'autres clubs à Diest, Vlissingen, etc.
Le mouvement a vite pris.
Les clubs belges constituent immédiatement un groupement sous le nom de Verbond Amateur
Wijnmakers, en abrégé V.A.W. Dès le début des années 1980 cette fédération regroupe
plusieurs milliers de vinificateurs amateurs dans les régions flamandes.
Cet engouement pour les
vins de fruits allait, en quelques années, contaminer la Wallonie.
Dans les zones limitrophes
des provinces néerlandophones, des francophones qui pratiquent les deux langues
nationales participent aux activités des clubs flamands.
Ils deviennent à ce point
nombreux que fin 1983 Jac. Lambrechts, président du V.A.W., propose aux francophones de
créer leurs propres associations et leur propre V.A.W. : Viniculteurs Amateurs Wallons.
C'est ainsi qu'en 1983 et
1984 apparaissent les Amis du Barboteur autour de M. Moors et Mme Ruwet dans la région
d'Aubel (riche en pommiers et poiriers),
la Confrérie vinicole du
Château d'Oupeye autour de M. Watteuw,
la Gilde Bruxelloise
autour de Marcel Weyrich et Arnold Cipers,
la Gilde des viniculteurs
Chapellois autour de Léonce Liépin,
la Corporation des
amateurs de vins de fruits Hesbaye-Condroz autour de G. Puissant.
Une revue se met en place,
quelques uns des précités traduisant les articles parus en flamand. Elle ne paraîtra
qu'en 1984 et 1985.
Les vins de fruits sont
dans l'air du temps.
Le mensuel
"l'écologiste" consacre un dossier aux vins de fruits en juillet-août 1983.
Le Sillon Belge, journal
rural et agricole publiera sous la plume de R.D. (Roger Dervaux) de nombreuses recettes
anciennes de vins de fruits et autres boissons ménagères.
Début 1984 a lieu une
initiative wallonne. Depuis son petit village de Rambais, Léon Bouché rassemble les
fabricants de vins de fruits au sein de la G.A.D.L.U.
En quelques mois il
dépassera les 500 membres.
Jacques Noël de Notre
Dame au Bois se propose pour réunir les amateurs du Brabant. Au mois d'août 1984 ceux-ci
se rencontrent pour la première fois. La Gilde Brabançonne des amateurs de vins de
qualité artisanale est la première association à réunir des membres dans un cadre
strictement francophone, sans lien avec les flamands. Elle comptera dès sa deuxième
réunion un membre, Yves Rikelynck, qui a fait ses classes au V.A.W. et qui fort de cette
expérience initiera les premiers membres de la Gilde.
Une troisième initiative
a lieu à Mons, autour d'un groupe d'apiculteurs présidé par M. Noël Michel. Ils
créent l'Institut wallon pour la fabrication des vins de fruits dont la vocation est de
d'enseigner l'art des fermentations (vin, hydromel, fromages,..) dont le nom évoluera en
IVHM, Institut wallon des Vins de fruits et des Hydromels à Mons. Rapidement un
groupement voit le jours à la suite de ces cours: la CAVE, Corporation des Amateurs
Vinicoles Epicuriens.
Les mêmes années
quelques artisans se sont lancés dans l'aventure fructo-vinaire :
- Géodelgen naît en 1983
sous l'impulsion du CWAC (Centre Wallon d'Animation et de Coopération) dans la région
verviétoise. Sa marque : le pomelou à partir de 1984, le cerilou, le prunelou et
l'apérilou dès 1986. Ils produiront ces vins jusqu'en 1997.
- Anne et Denis Poncelet
abandonnent l'artisanat du cuir pour se lancer dans les vins de fruits en 1985. Les vins
du Gorli apparaissent ainsi dans la région namuroise.
Ces producteurs
"professionnels" sont regroupés au sein de la coopérative "Buvons nos
fruits".
Après l'été 1985
l'entente avec Léon Bouché s'avère impossible et la Gilde Brabançonne quittera le
GADLU pour voler de ses propres ailes. Peu après, à l'automne 1985 les associations
membres du VAW wallon sont lâchées par leurs homologues flamands qui, pour des raisons
de reconnaissance communautaire et de subsides en découlant, doivent porter la seule
étiquette flamande.
Une rencontre entre les
différentes associations francophones a lieu en octobre 1985. Celles-ci décident de se
regrouper en une fédération qui naîtra officiellement le 19 novembre 1985.
Les associations
fondatrices élisent Marc De Brouwer comme président et confient la rédaction de la
revue commune à Yves Rikelynck.
La FEVA (fédération des
éleveurs de vins artisanaux) deviendra définitivement FAEVA (A pour "des
associations") lorsque ses statuts d'asbl seront votés par les 7 groupements qui la
constituent officiellement le 13 septembre 1986.
A cette époque on recense
10 associations regroupant des amateurs à Bruxelles et en Wallonie.
Fin 1986 le CWAC
(Géodelgen, Buvons nos fruits) organise des Assises du vin de fruits où se rencontrent
toutes les associations francophones. Cette intéressante expérience n'eut pas de suite.
En moins de trois années
le monde du vin de fruit bruxellois et wallon s'est constitué. Depuis lors peu de choses
ont changé.
Bien sur, depuis 1987 de
nouvelles associations sont apparues, d'autres ont disparu. Certains clubs n'ont tenu que
quelques années, souvent parce qu'ils dépendaient d'une seule bonne volonté. Le GADLU,
oeuvre initiatrice, mais structure d'un seul homme n'a plus eu de publication au-delà de
1987. La Gilde Bruxelloise cesse ses activités fin 1992, etc.
Depuis une douzaine
d'années, bon an mal an, une quinzaine de gildes et confréries organisent des réunions
régulières et des activités pour leurs membres.
Les plus anciennes
associations de vinificateurs ont donc 15 ans cette année 1999. La Confrérie vinicole du
Château d'Oupeye, la Gilde des viniculteurs chapellois et la Gilde Brabançonne sont les
doyennes des associations de vinificateurs amateurs encore existantes.